22 janvier 2008

Positivisme 101

En apprenant mon départ prématuré pour l’Afrique, j’ai cru que jamais je n’arriverais à être prête pour la date prévue. Trois semaines pour tout orchestrer, c’est court ! Mais comme par enchantement, tous les préparatifs du voyage se sont déroulés sans pépin, voir trop bien. Le destin voulait que j’aille au Burkina. Quelque chose de grand m’attendait là-bas. Quelque chose comme l’Amour. L’Amour que j’ai pour Romuald, ainsi que pour le pays des hommes intègres, pays où je commence à me sentir chez moi petit à petit et pour Kebab, le plus trognon des petits chiots du Burkina. (Il n’y a qu’une seule race de chien ici. C’est vous dire à quel point il est beau. Le top !)

Ça va bientôt faire deux mois que je suis en Afrique. Tout va bien. Très bien même. C’est certain que tout n’est pas parfait. Mais la perfection m’ennuie. Alors, on peut dire que j’ai trouvé un certain équilibre à ma vie. Fragile certes, mais bien présent.

Liste des imperfections qui colorent mon existence africaine :

Ma flore intestinale est fragile. C’était prévisible.

J’ai moins d’énergie. Faut dire que de se lever à 6 h 30 chaque jour, ça tire du jus.

La poussière s’infiltre partout. Dans mes yeux, mon nez. Ma peau suffoque. Je suis sale en permanence et je ne me suis jamais autant laver de ma vie !

Je grossis à vue d’œil. Engraisser en Afrique, faut le faire ! J’ingurgite féculents pour déjeuner, diner et souper. Ça donne une Julie dodue et potelée.

Le manque de diversité à tous les niveaux. Surtout du côté des produits de consommation. Il y a cinq types de boutique : les télécentres, les dépanneurs, les tailleurs, les cordonneries et les coiffeurs. Donc, une fois bien chaussé, bien coiffé et bien taillé, il n’y a plus rien à consommer.

Le manque de divertissement. À tous les niveaux aussi. Heureusement que j’ai Romuald pour passer le temps !

L’exhibitionnisme de ma belle-mère. Elle fait sa toilette à l’extérieur de sa case à chaque matin vêtue que d’un pagne. C’est difficile pour moi d’en parler. Je suis encore sous le choc.

Le système de santé. J’ai passé un test de dépistage pour la malaria au même endroit où j’ai acheté du savon antipuce pour Kebab, au Laboratoire vétérinaire de Koudougou. Service impeccable !

Mais bon, la beauté de la vie se trouve dans les imperfections, n’est-ce pas ? Faut rester positif !

Mon stage

Retour officiel à la vie normale. Mes trois mois de stage sont bels et biens entamés. Du boulot, j’en ai ! À chaque matin, je suis au bureau pour accomplir mes mandats. Je viens de recevoir les images des trois vidéos sur la sensibilisation à l’alphabétisation et à la scolarisation des femmes et des jeunes filles du Centre-Ouest. Je dois effectuer le montage et réaliser le guide d’animation qui accompagnera les vidéos en plus de créer des fiches techniques pour OXFAM sur la mise en page et le multimédia.

Vu le manque de travail à mon arrivée à Koudougou, j’ai pris l’initiative d’aider un orphelinat dans sa recherche de bailleurs de fonds et dans la confection de son site Web. Les besoins fondamentaux de dix enfants dépendent de l’argent transféré par les bailleurs. Ghislain, un poupon d’un an, a été retrouvé abandonné au fond d’un puit il y a deux mois de cela. Mais il garde le moral ! Les enfants sont solides en Afrique. De vrais petits durs à cuire !

De plus, je me suis impliquée dans la création d’une page Internet pour Moukouan. Les Moukouanais souhaitent faire de leur petit coin d’éden, un lieu éco-touristique. Le projet est extrêmement intéressant puisque durable. Si tout fonctionne, c’est le village entier qui va en profiter. Un village au complet qui va avoir à manger ! J’ai du pain sur la planche.

Une escapade à Moukouan

Après une heure de route dans la poussière à dos de mobylette, nous arrivons à l’entrée d’une piste de brousse menant directement à Moukouan. Attention aux adeptes de crosscountry, le Burkina Faso est le paradis du motocross ! Les pistes sont à l’image de la surface de la lune; cratérisées et à peine touchées par l’homme ! J’ai eu droit à mon premier accident de mopette dans cette piste ! Rien de grave, n’ayez crainte. Un simple accrochage avec la moto que je suivais. Dommages engendrés : un clignotant et mon phare avant. Coût encouru : 2 $ CAN. Et beaucoup plus de peur que de mal.

À notre arrivée, tous les vieux du village nous attendaient pour nous accueillir. Ils étaient environs une vingtaine. Imaginez l’escouade d’hommes ridés Mossis dans leur boubous se déplacer en masse de leur résidence respective pour nous. C’est un grand honneur que d’être reçus par le troisième âge. Il représente la sagesse et le savoir. Et pour eux, bien accueillir l’étranger est primordial. Ils nous ont offerts trois poulets, du lait sucré et du café instantané. Merci.

Après l’étape rituelle de l’accueil des vieux, un lavage en profondeur s’imposait. Recouverte de la tête aux pieds de poussière orangée, je faisais malgré moi partie du clan de Philippe, le clan des rouges* ! À la douche et ça presse ! Je rassemble savon, serviette, gougounes et vêtements de rechange et je m’engage, sans le savoir, vers une expérience qui allait marquer ma vie à tout jamais : mon premier nettoyage au saut. La « douche » constituée d’une cloison en paille et d’un saut d’eau froide à moitié plein est, comment dire… très rustique. Faut vraiment que je sois de niveau « saleté extrême » pour m’aventurer toute nue derrière cette micro-cloison aux vues et aux sus de qui voulait bien jeter un œil.

Et pour les toilettes ? Troisième roche à droite, après le buisson, en face du bœuf et de la chèvre, vous verrez une pancarte, « Attention à vos fesses, il y a scorpions et serpents sous roche. » Le luxe, quoi !

Parlant de luxe, nous avons eu la chance de dormir dans les cases traditionnelles Mossi. Fabriquées de banco (mélange d’argile et de bouse de vache), les cases sont circulaires et coiffées d’un joli toit tressé de paille. Les lits sont constitués de bâtons de bambou brêlés recouverts, fort heureusement pour nous, d’un matelas top-quality Made in China. Nous nous sommes endormis aux sons des grillons, éclairés par les étoiles dans un décor épique digne du moyen âge africain.

Après une nuit de sommeil profond, nous voilà en route pour les rochers sacrés de Moukouan. La tradition veut que l’on demande l’autorisation du chef du village pour pénétrer sur le lieu de sacrifices et de prières. Le traducteur a pris soin d’interpréter la rencontre. Traduction très politicly correct, je tiens à le préciser, puisque par la suite, nous avons appris que le gros de la discussion tournait autour du montant de la visite. Le vieux sénile exigeait cinq fois le prix convenu au départ ! Vous auriez dû nous voir, sourire béat, sagement assis en cercle autour du chef, croyant qu’il nous souhaitait la bienvenue dans son village… Price less !

À notre retour, nous sommes arrêtés à Sabou. Dans ce village, les crocodiles sont sacrés. Pas question de les tuer, de les blesser ou de les maltraiter. Les caïmans de Sabou sont maîtres des lieux. J’ai eu le privilège de chevaucher l’aînée ! Drôle de sensation que de se retrouver assis sur le dos de grand-mère croco. Faut préciser que la vieille caïman est mi-morte mi-vivante et ne se donne même plus la peine de mastiquer. Mais bon, faut pas m’enlever le mérite. Qui d’entre vous peut se vanter d’avoir monté un crocodile ?

* Le clan des rouges, fondé par Philipe Laflèche, est une secte rassemblant tous les exclus de la société étant rouge de par leur état, suite à une exposition prolongée au soleil. L’existence des rouges au Burkina est aussi insolite que celle des albinos au Canada. Malheureusement pour eux, leur chair tendre est prisée pour les rituels animistes. Menum, menum !

7 janvier 2008

Un Noël à l Africaine

J’ai vécu la fête de Noël la plus particulière de toute mon existence. Ici, le concept de fête en famille existe mais dans la pratique les amis, les voisins et même les inconnus font parti de la famille et sont invités à participer aux festivités. Chaque foyer ouvre grand les portes de son domaine et invite les gens à célébrer. Buffet à volonté. Bar open. Musiciens. Danse. Toute la ville fait la fête. Même les musulmans participent.

Comme bons Canadiens que nous sommes, nous avons plié aux coutumes des Burkinabès. Pas d’accommodements raisonnables pour les étrangers du Burkina ! Obligés de mettre la main à la pâte, nous avons égorgé, bouilli et frit 12 poulets, cuit un kilo de riz et de pâtes et coupé l’équivalent du Jardin Botanique en légumes. Heureusement que nos voisins nous ont aidés. Les Africaines sont tous des rock stars de la popote. Vous essayerez de cuisiner pour 100 personnes avec 2 couteaux (dont un qui ne coupe pas), 1 poêle et 3 chaudrons de taille moyenne… Bonne chance !

Comment j’ai aimé mon expérience ? Honnêtement, j’ai travaillé tellement fort que je n’ai pas su profiter de la fête comme tel. J’ai dîné avec les restants du copieux repas que nous avions préparé. J’ai bu trois gorgés de ma bière chaude entre deux services. En trois mots : c’était un Noël sportif. Pour moi, la fête a débuté à la fin de notre réception au maquis dansant le Ying Yang. Le plaisir de bouger sur le coupé-décalé et le reggae local m’a fait oublier l’éreintante journée que je venais de passer. Éreintante, mais intéressante, c’est certain !

Mes vacances en bref

Dans le cadre de nos vacances de Noël, nous avons visité le village de Moukouan, le désert du Sahel, la région du Sud-Ouest du Burkina et fait un safari à la réserve faunique Nazinga. En 11 jours, j’en ai vécu plus qu’en 1 an au Québec ! Nous avons dormi dans des cases traditionnelles Mossi (peuple sédentaire) et Peule (peuple nomade). Fait une balade en dromadaire jusqu’à un volcan endormi. Marché sur les dunes de sable orangé du Sahel. Observé les éléphants, les babouins et les crocos dans leur habitat naturel. Visité les mosquées de Bani. Rencontré le roi des Ghan. Passé sur les ondes radio du Burkina, de la Côte-d’Ivoire et du Ghana. Mangé un steak d’antilope. Fait une promenade dans le fabuleux marché de Dori. Assisté à la confection de bijoux en argent touareg, de sacs et de coussins en cuir de chameau, de tapettes (gougounes) en pneu d’automobile. Etc.

Nous sommes à bout de souffle, donc très contents de rentrer au bercail. Le programme était très serré et parfois éreintant. Suivre un circuit touristique et être traité en touriste 24/24, ce n’est pas mon fort. Je ne suis définitivement pas faite pour voyager en compagnie d’un guide et d’un chauffeur. Malgré tout, je suis heureuse d’avoir vu ces incontournables du Burkina. Mais si c’était à refaire, ce serait différemment. À ma manière, à mon rythme.

Petite anecdote africaine

Il y a plus de 2 semaines de ça, fidèle à mon habitude, je me trompe de chemin en retournant à la maison. Accrochée solidement au volant de ma mobylette, j’essaie d’éviter trous, poulets, enfants, roches, cochons et déchets parsemant le six-mètres. Après quelques minutes de confusion totale, je finis par me retrouver à l’arbre.

Cet arbre, tout le monde le connaît dans mon quartier. C’est l’endroit où les hommes se rencontrent pour prendre le thé à l’heure de la sieste. C’est à cet instant que je l’ai aperçu. Bien installé au frais sous le manguier, une tasse de thé vert de Chine fumant à la main, il me salue de l’autre. Tout émoustillée, je lui rends le bonjour et je passe mon chemin en essayant d’éviter une pintade rebelle effrayée par le bruit retentissant de mon moteur. J’avais vraiment « fière allure » sur ma mobylette. Tout pour avoir l’ « AIR » de maîtriser la situation.

Je l’ai croisée par hasard à deux autres reprises dans cette même journée. Le lendemain, pas par hasard, j’ai repris le chemin de la veille. Cette fois, je me suis arrêtée. Et j’ai pris le thé. J’ai discuté avec les hommes sous l’arbre en faisant comme si l’objectif de mon intrusion dans leur rituel était de fraterniser avec le voisinage. Après le premier service du thé (« dur comme la vie », parce que très corsé), j’apprends que Romuald, est joueur de foot national pour l’équipe de Koudougou. Au deuxième service du thé (« doux comme l’amour », parce qu’il est plus léger, car infusé pour la deuxième fois), je remarque qu’il a la plus belle paire de fesses du Centre-Ouest du Burkina. J’ai envie d’en connaître plus sur son compte, donc je reste pour le troisième service (« sucré comme la femme », parce qu’infusé une troisième fois, il goûte l’eau donc on le sucre beaucoup). J’apprends, à mon grand plaisir, qu’il est mon voisin. Il réside à deux portes de chez moi, après la carcasse d’autobus, en face du papayer. Hummmmm ! C’est tellement exotique !

Depuis cette journée passée en sa compagnie, je n’ai encore pu m’en séparer. Corps athlétique, fesses rebondies, cheveux en rastas, sourire blanc comme neige, corps athlétique… Ais-je déjà mentionné qu’il avait un corps athlétique ? Oui ? Alors, je me permets d’insister !

Je suis en train de découvrir un des rares hommes modernes occidentalisés du Burkina. Il est devenu ma drogue, mon air, ma joie de vivre ! Aurais-je déniché l’Amour sous le manguier ?